Conférence sur le Yuko Datotsu du 20/02/2021

Publié le par Jean-Pierre LABRU

Samedi 20 février 2021, nous avons partagé un moment ensemble lors duquel j'ai tenté de décrire ce que l'on appelle le Yuko Datotsu.
Le Yuko Datotsu est un terme que l'on entend souvent et qui est communément assimilé, tantôt au Ippon, tantôt au Ki Ken Tai no Ichi. Quelles sont les différences entre ces 3 notions ?
Comment le définir techniquement, comment le reconnaitre quand on arbitre, quand on est spectateur mais également et surtout quand on pratique soi-même ?
Pourquoi quelques fois l'appréciation du Yuko Datotsu peut faire débat et comment peut-on être certain de sa bonne compréhension ?
Nous avons tenté ensemble de répondre à ces questions à travers différentes démonstrations théoriques et pratiques de la valable réalisation du Yuko Datotsu.

 


Introduction 


Le but de cette conférence était que tout le monde reparte avec une vision claire de ce que peut être le Yuko Datotsu, et en relie son appréciation à son propre sentiment de rapport au sabre.
Effectivement, certain ultra-cartésiens démystificateurs nous assènent qu'il faut qu'on ouvre les yeux, on se bat avec des bouts de bois et qu'en aucun cas on ne risque sa vie : ce n'est que du sport ! 
Et si justement, on s'employait à imaginer, visualiser, se figurer, se projeter, et ainsi trancender les valeurs d'absolu et d'esprit romanesque des combats d'escrime ? 
Et comme je dis souvent, quel meilleur apprentissage que de se figurer un combat réel afin de survivre à notre propre mort et en tirer de précieux enseignements ?!
D'ailleurs à l'intérieur même des règles sportives du Kendo, ne serait ce que par son rapport au sabre, se cachent quelques énigmes et qu'à bien y regarder, l'art martial est bien présent.


Définition littérale et règle de compétition
    

La définition littérale de Yuko Datotsu "collision efficace" évoluera dans notre contexte pour une "frappe valable" beaucoup plus adaptée.

La liste des critères qui définissent le YD dans les règles internationales (FIK) parait finie et bien catégorisée :

  • La bonne partie du shinai – datotsubu
  • La bonne partie de l’armure – datotsubui
  • Le sens du tranchant – Hasuji
  • Un esprit vigoureux – Kiai Kime
  • Une posture correcte et adaptée
  • Le tout suivi par Zanshin

Et pourtant cette liste ne se suffit pas à elle-même, le pratiquant, le spectateur et l'arbitre se devront de remettre dans le contexte ces six éléments, et ceci instantanément, afin d'évaluer la correcte application du Yuko Datotsu.

Vous pouvez voir dans le schéma ci-dessous que cinq "composants" s'ajoute à la liste des prérequis.

 

Le Kime, Zanshin, Kikai et autres éléments composant le Yuko Datotsu

 

Ma-aï : communément traduit par "la distance". Oui mais voilà, cette distance ne se mesure pas en centimètres, ni en mètres, ni même en pouces.

Cette distance est celle qui vous sépare de votre adversaire dans votre capacité à l'atteindre, ou la sienne à vous atteindre, physiquement… mais aussi mentalement et j'avoue que cela peut être plus difficile à appréhender.
Cette distance se mesure donc en potentialité de réalisation, d'atteindre ou d'être atteint.

Prenons l'exemple de combats asymétriques, Naginata - Kendo, ce qui illustrera, par un exemple, le Ma-ai. 

La capacité d'atteindre et plus éloignée pour le Naginata, par contre dès que kendoka a réussi à pénétrer plus proche que cette distance, le risque est grand; La Naginata le sait, si elle rate sa cible, elle peut s'exposer à la ruée du Kendoka qui, comme une furie, tentera crânement de profiter de l'opportunité.

Cette menace d'intrusion est une des façons d'atteindre mentalement le pratiquant de Naginata.

A l'inverse, si le Kendoka a une tendance à s'appuyer régulièrement sur sa jambe avant, il s'expose à un Sune fauchant d'un coup ses espoirs de ruée vers le Yuko Datotsu; le kendoka le sait et doit composer avec.

Voilà un exemple de ma-ai, comme une complémentarité, une imbrication, un effet miroir de la potentialité physique et mentale de chacun.

 

Kime
Voilà encore de l'impalpable, interprêtable, une appréciaton de la détermination, certe propre à chacun selon son vécu, mais qui devrait faire l'unanimité et donc devrait être indiscutable.

Oui mais voilà, quelque fois, ce qui est exprimé en tant que détermination peut donner lieu à en parler…

De la détermination d'attaque, cette urgente nécessité de s'engager corps et âme dans une quête de Yuko Datotsu, se compose de plusieurs autres notions; et en découlent naturellement quelques autres.

De nombreuses maximes et termes japonais nous bercent depuis de longues années pour les plus anciens, depuis mon enfance me concernant, on y trouve notamment :
Prioriser ses actions à travers le Ichi gan Ni soku San tan Shi riki,
Se départir du Shikai (peur, doute, surprise et hésitation) …
…et ainsi libérer son Sutemi (engagement total),
Dans l'expression du Kikentai no Ichi…
Produire du Sae (donner de la vie aux 10 derniers centimètre de la lame)…
Au moyen du Te no uchi (travail réalisé à l'intérieur des mains)…
…et qui se termine par Zanshin.

Et même dans l'articulation, la qualité dans la prononciation du Kiai, se cache une expression de la détermination. N'avez-vous jamais essayé de réaliser deux Men, le premier en poussant le Kiai bien articulé, explosif respiratoirement (mais pas que) et précis "MEN" et un autre avec un Kiai du type "WAACHA" ?

La détermination de la prononciation du Kiai, bien évidemment participe à la démonstration de la détermination globale, participe à démontrer le Kime mais à en élaborer également sa vigueur !

Cet état d'esprit préparatoire, le cœur gonflé de Kiai, si expressif de ferveur, galvanisant de confiance (si si persévérez encore si vous en doutez), la tête restant froide pourtant, nous amène à un point de non retour où la défense ne sera plus une option, ni même une pensée, ou le Sutemi en est son expression ultime, qui se poursuit d'un Kikentai no ichi bien senti… et qui se termine par zanshin : voilà le Kime !

 

Le Zanshin fait déjà partie des 6 éléments, pourtant son côté impalpable, personnalisé, contextualisé va demander plus de précisions.
Bien entendu, un Zanshin standard qui intervient comme une prolongation naturelle d'un fort Kime, et produit un état de vigilence disponible, est facile à évaluer.

Mais comme toute règle, et encore plus pour celles qui se doivent d'être appréciées plutôt que d'être appliquées strictement, les exceptions qui la confirment nous rassurent quant à l'étendue de notre pouvoir de décision que l'on soit arbitre, combattant ou spectateur.

Prenons pour exemple…
Ce lien avec notre partenaire, celui qui dès le salut s'est créé entre nous et qui nous entraine dans une danse folle, sabre au clair, Kiai déployés, seme percutants, sensibilités exacerbées afin de capter les messages, déjouer les intox bien qu'en en provoquant soi-même, imprimer, désarconner, résister, se trancender…

Ce lien, appartenant à nous deux, si garant de notre intimité pugilistique de l'instant, comment pourrait-il être abandonné, l'espace même d'une microseconde, à la défaveur d'une attitude corporelle ou mentale.

Nooon mes amis, je dis NON, ne laissons pas passer cette intolérable trahison de Zanshin et gardez vos applaudissements dans vos poches, vos drapeaux le long du corps et ne ratez pas la chance d'attaque immédiate comme une sanction bien méritée.

Cette petite envolée lyrique n'a pour seul but que d'argumenter auprès de vous du côté très humain, émotionnel du jugement du Zanshin nécessaire et suffisant.

 

Kikai, c'est l'opportunité. Apprécier le Kikai est assez simple pour toute personne rompue à n'importe lequel des jeux, sports ou arts pugilistiques.

Figurez vous que même ma grand-mère un jour, me laissant sans voix, m'a commenté un combat de Kendo en vidéo alors qu'elle en voyait pour la première fois. La vie à l'orpheminat avant guerre n'a pas du être simple tous les jours !?!!

L'exemple de la place que prendrait Kikai dans l'attribution d'un ippon s'illustre assez facilement par le blocage en tsuki au moment de la réception d'une frappe qui aurait été valable sans cela.

Pourquoi le ippon n'est il pas validé dans ce cas ?

Et bien c'est juste que l'opportunité d'attaque, Kikai n'était pas là…

 

Riaï est également une notion fondamentale.

Ce n'est pas à être apprécié par les arbitres mais plutôt par les jurés d'examen (pour les grades élevés).

En effet, Riaï correspond à notre capacité de prendre les bonnes décisions au bon moment.

Les arbitres en évaluent le résultat : le Yuko datotsu; les jurés d'examen doivent évaluer la justesse des décisions prises, ce qui est un gage du niveau de compréhension, du niveau de lecture du contexte ainsi que la capacité d'en tirer les bonnes décisions d'action.

Allez une fois n'est pas coutume, une analogie avec le football, (oui je n'ai peur de rien) :

Seul devant le gardien quelle décision prendre ?

Tirer ou faire la passe ?

Et bien ça dépend de beaucoup de critères à analyser instantanément comme la confiance, l'état de fatigue, le niveau du gardien, l'état du terrain et tant d'autres… voilà Riaï !

Et la chance n'a rien à voir là dedans !…

 

Pour conclure mais sans terminer la discussion...

Le Yuko Datotsu, si pour beaucoup il est vu comme le Graal du Kendo, c'est un peu normal qu'il requière une formule digne d'un alchimiste, qu'en pensez vous ?

 

 

 

 

 

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