Tout commence par le Salut et se finit par le Salut !
Crédit photo © Vanessa Maira
"Reï ni hajimari Reï ni owaru !"
Depuis la nuit des temps, le salut a toujours marqué un début ou une fin ; quelque part comme naître et mourir : saluer fait partie de la vie !
Dans les diverses disciplines du Budo, le salut (Reï) est délivré à de multiples occasions et dans toutes les circonstances pour marquer le début et la fin ; et tous, nous nous accordons à ce que cela signifie le respect et la gratitude que nous portons que ce soit envers le Dojo, un professeur, un Sempai, un partenaire de pratique, …
Le sens premier, comme une première illustration
En Japonais ancien, "Reï" s'écrivait en combinant deux idéogrammes.
Le premier, “rituel divin" nous évoque immédiatement que le salut provient de la démonstration d'une déférence envers une personne, une instance que l'on place plus haut que soi-même.
Le deuxième, "abondance d'offrandes" possède un double sens.
En effet, on peut considérer que nous même, par cette démonstration, nous prodiguons des offrandes que l'on imagine être par exemple : le respect, la loyauté, l’estime…
Et puis, j’y vois une autre interprétation, s’ajoutant à la précédente, que je traduirai ici par "trésor de bienfaits". Où cette attitude physique et mentale, dans laquelle nous nous mettons consciemment, se réfléchit sur notre cible et nous revient comme un bénéfice pour nous-même. Je développerai ce point plus avant.
J'avais toujours considéré le salut comme un élément typiquement japonais qui se devait d'être reproduit et ainsi s'inscrire dans la tradition ; le respect de l’autre, du dojo, des anciens. Le salut, pour moi, était totalement dirigé vers, et à l'attention de l'autre… par politesse.
Et si un discret bénéfice pour soi-même pouvait également s’y cacher ?
Une école des bonnes manières
Au Japon, il existe, telle une école de Kenjutsu, une école de Reïhô (Politesse) :
L'Ogasawara-ryū* a été créée quand Ogasawara Nagakiyo est entré à la cour, à Kyoto en l'an 1186, comme instructeur de Minamoto-no-Yoritomo, fondateur du Shogunat de Kamakura.
L'Ogasawara-ryū est une école d'étiquette (Reïhô), de tir à l'arc (Kyudo) et de tir à l'arc monté (Yabusame), qui considère l'étiquette comme la pierre angulaire de ses techniques.
Quand on mentionne l'étiquette dans les Budo, la première chose qui vient à l'esprit de la plupart des gens est une image de formalisme et de rigidité. Ce qui vient ensuite inévitablement, pour nous occidentaux, prend la forme d'une liste de règles qu'il "convient" de réaliser, ou de formules à proférer, afin de respecter l'ancestrale tradition des arts martiaux et par là même, la culture japonaise et sa société en général.
Ce qui est plus délicat encore pour la compréhension du Reïhô, c'est qu’il est trop souvent perçu comme une, encore plus longue, liste d'interdits que certains Sempai zélés nous intiment d'appliquer.
J'ai encore ce souvenir de la fameuse interdiction de se dire bonjour en se faisant la bise sur le dojo. "Eh bien oui, vous comprenez au Japon cela ne se fait pas !". Tout ceci était sans tenir compte qu’au Japon, la bise n'est nulle part une pratique utilisée pour se saluer, alors oui en effet, dans les dojos non plus.
L'Ogasawara-ryū, enseigne que le simple fait d'imiter la forme n'a pas de sens ; le sentiment que l'on a envers l'autre est essentiel. Lorsque deux personnes s'inclinent l'une vers l'autre, il est important que le sentiment des deux personnes se répercute de l'une sur l'autre. C'est cette réverbération qui donne vie à l'échange entre les deux parties, et qui donne la vie et le sens au Reï.
NB : « Reïhô » représente le code de politesse tandis que le terme « Reïgi », que l’on emploie également, rassemble les rites de la politesse japonaise.
J'en profite ici pour vous encourager à lire les écrits de Monsieur Yoshimura en la matière (notamment dans le N°46 de l'écho des dojos, la revue du CNK des années 90).
*Ogasawara-ryū :
L'importance de la préparation
"Celui qui a oublié de se préparer, se prépare à être oublié !"
Il est évident pour toute personne ayant dû régulièrement avoir à se concentrer, se recentrer avant un événement afin de se hisser au mieux de ses possibilités : la puissance du cérémonial comme un des éléments de la préparation mentale et physique demeure incontournable.
SUMI Masatake sensei, très aimé des pratiquants français et européens, conseille avant une compétition, de mettre en ordre sa chambre, son appartement afin que par voie de conséquence notre esprit le devienne également.
Ensuite dans les vestiaires, l'apprêtage précis du Keikogi, du Hakama ou du Kimono ; et puis dans le Dojo, l'ayant préalablement salué en conscience, la préparation des armes, éventuellement les nouages de l'armure pour les plus harnachés d'entre-nous.
Minutie toute japonaise, cet art de faire les nœuds nous permet de bénéficier d'un support concret à notre préparation mentale. Qui d'entre nous n'a pas vu un de ses Himo (cordons) se défaire en pleine action en raison d'une préparation trop légère, ou dilettante ou distraite.
Une attitude intérieure délibérément choisie
Nous connaissons tous des styles de Kendo et de personnalités avec lesquels nous apprécions échanger et a contrario, certains vers lesquels nous ne sommes pas naturellement attirés.
Imaginons un jour, trouvant le courage, ou notre sensei suscitant le courage chez nous, ou bien par le truchement mathématique de la loi des intervalles lors d'un Mawari-geiko, nous nous retrouvons face à notre pire cauchemar kendoistique. Dans ce contexte, avez-vous remarqué combien il est difficile pour nous de produire notre meilleur Kendo ?
Le premier réflexe, et c'est humain, est d'en imputer la responsabilité à cette même personne. Mais voilà, si nous sommes honnêtes avec nous-même, nous savons que beaucoup de cet inconfort provient de notre propre sentiment a priori. Ce sentiment, ce jugement, sur le kendo et/ou sur la personnalité de ce pratiquant, ne reflèterait-il pas notre propre incapacité à se départir des difficultés qu'il nous fait expérimenter ?
Et le fait d'être empreint de cet état d'esprit avant l'échange, ne serait-ce pas la raison profonde de notre inhibition ?
Des deux, j’en suis intimement convaincu.
Rétrospectivement, mes meilleures, mes plus accomplies, mes plus satisfaisantes expériences de shiais ont été partagées avec des personnes que j'affectionnais particulièrement ; sans pour cela qu'on soit proche, cela relevait plus de l'estime que je portais à leur personnalité kendoistique.
A un journaliste qui lui demandait son secret pour être si fort quel que soit l’expert émérite lui faisant face, NAKAKURA Kiyoshi sensei* avait répondu ainsi : "J'aime immédiatement mon adversaire !"
* à lire absolument "Un diable d'homme" traduit du japonais par Georges BRESSET
Le "trésor de bienfaits"
Nous avons vu que le salut, Reï, transmettait un message de respect envers un destinataire et que nous-même pouvions recevoir un tel message d'un partenaire de pratique. Comme le prône Ogasawara-ryū : "…le sentiment des deux parties se répercute de l'une sur l'autre…". Ces messages envoyés auraient donc des répercussions sur le destinataire, oui mais pas seulement.
On entend souvent parler dans le bouddhisme en particulier, et dans beaucoup de religions en général, de cette fameuse gratitude que l'on "doit".
Sans pour cela devenir prosélyte, demeurant œcuménique, voire athée, la notion que je propose d'aborder tourne autour de cette gratitude, comme une attitude délibérément choisie.
Quand nous saluons un partenaire, nous remercions l'Homme de se tenir devant nous, du moment de vie que nous allons partager, par avance, de tout ce qu'il va nous apprendre…
La gratitude, cette part de modestie qui s'exprime, concède notre interdépendance : sans nos partenaires, pas de voie de progrès, pas de voie tout court !
Personnellement, je salue aussi le parcours de l'Homme ; nous avons tous un parcours qui nous a amené jusqu'à ce moment, ici et maintenant. Et qui sait, après cet échange, nous ne nous reverrons peut-être jamais plus.
...
Un jour, tout en faisant naître en moi cette ferveur, cette énergie pugilistique de début de jigeiko, j'initiai et alimentai cette gratitude envers mon partenaire.
Et, plutôt que tenter de le repousser du bout de la pointe du sabre, j'acceptai l'augure de le laisser entrer dans ma distance, à portée de main, de tir, de coupe.
Cette NAKAKURA attitude, moteur du rapprochement vers mon partenaire, provoqua chez moi une désinhibition des a priori, la disparition de la peur de l'inconnu et de la peur de l'échec.
Quoi qu'il eût bien pu se passer entre nous ce jour-là, nous en fûmes ressortis tous deux grandis d'une expérience, née d'une rencontre, qui fut ici et maintenant.
Et chacun reprit sa route, son chemin, sa voie… "Ichi go ichi é" : "De toute une vie, une unique rencontre".