Nous avons eu le 24 avril 2021 une discussion au sujet du passage de grades au Kendô.
Répondant à plus de 30 questions posées préalablement, j'ai aussi tenté de répondre, toujours avec ma propre vision des choses, aux quelques autres questions venues en séance.
Je vais, dans les lignes suivantes, vous retranscrire au mieux nos échanges.
La notion de passage de grades en Kendo, mais j'imagine à l'instar des autres Budo japonais, est un concept que l'on ne retrouve pas forcément dans les modes d'évaluation des formations de nos institutions occidentales.
Le mot "Shinsa" en japonais que l'on traduit par "examen" peut aussi avoir une connotation qui le fasse se rapprocher du mot "soutenance" (de thèse) ou aussi "audition", comme une audition pour un rôle : seriez vous retenus pour le rôle correspondant au grade que vous présentez ?
Nous nous retrouvons devant, non pas un jury de critiques pensant détenir la vérité sur ce qui est beau, juste, fort et convenable... Nous nous retrouvons devant un jury composé de Senpai (au sens littéral : "qui est passé avant") qui ont dans leur vécu été confrontés à ce que nous vivons aujourd'hui.
Ce vécu de chacun des jurés correspond à ce prisme par lequel ils apprécient ce que nous leur démontrons.
L'évaluation qui est faite pourrait donc se délimiter au périmètre de pratique même du juré mais le plus souvent, et c'est un des buts du Kendô, sa personnalité s'étant développé et ouverte avec les progrès, il saura élargir son champs d'évaluation à beaucoup plus large que ses propres conceptions de la pratique, affinités ou capacités de réalisation.
Et donc, et la discussion aurait pu s'arrêter là, le secret d'un passage de grade réussi est de faire, le plus possible, l'unanimité parmi l'ensemble des vécus des jurés siégeant dans le jury. Beaucoup de réponses à nos questions se retrouvent dans cette conception de la composition du jury : des Hommes et Femmes avec un vécu, apportant leur propre sensibilité dans la balance de leur jugement.
Plusieurs questions sur la tenue qui nous ont amenés à se dire que la tenue du passage de grade doit être, mais c'est écrit dans le règlement, propre, en bon état et répondant aux critères de sécurité pour la pratique du Kendô. Par exemple, dans mon dojo, j'ai refusé à un élève l'autorisation de pratiquer avec une armure japonaise des années 20... 1920...
Ce qu'il est communément admis c'est que le keikogi et hakama doivent avoir la même couleur tant en couleur elle même (bleu, blanc) qu'en décoloration de bleu.
Adaptée à la physionomie du pratiquant, la tenue devra refléter toute l'attention et le soin que le candidat aura apporté à son habillage.
Nous avons eu la question de savoir à partir de quel grade utiliser une tenue en coton. Il n'y a pas de réponse formelle à ce type question. Me concernant, j'ai eu mon premier hakama coton pour mon 3e dan par conséquent, je pourrait commencer à trouver étrange qu'un candidat au 5e soit toujours avec un hakama tergal. Mais encore une fois, ce n'est qu'un ressenti basé sur mon vécu... ainsi que le désagréable souvenir d'avoir transpiré dans un hakama tergal.
Bien entendu, la question de la preparation revient souvent.
Comme je l'ai évoqué, selon moi, le grade est quelque chose qui reflète notre niveau... de tous les jours. Il y a une phrase que je dis souvent : "On n'est champion que d'un jour mais le grade que l'on a obtenu, on se doit de le mériter lors de chaque entrainement."
Cependant, l'exercice de présenter son grade, exposer son meilleur kendo pendant 1minute 30, n'est pas quelque chose dont nous avons l'habitude. On peut alors penser organiser des stages pour se mettre en situation lors de Tachiai avec des partenaires de son niveau ainsi qu'un auditoire ; et recueillir les avis des sensei présents.
La notion de se préparer consiste selon moi à se préparer le plus possible à être soi-même dans son meilleur jour. Cela ressemblerait plus une préparation mentale, comme avant un oral d'examen, en ayant suffisamment confiance dans ses games.
Quand on ne possède pas à proximité de partenaires de pratique de niveau supérieur ou équivalent, il peut être plus difficile de se préparer. C'est valable ici, mais aussi dans tous les cas, il faut investir sur la recherche personnelle, le retour sur soi, faire (keiko, uchikomi, kirigaeshi, kata…) et se filmer afin de faire corroborer la sensation de l'intérieur (proprioception) avec ce qu'on voit sur la video (c'est un exemple) et le mettre en regard de nos attentes… Il existe le mitori keiko, "l'action d'être spectateur", en développant suffisamment l'empathie pour se sentir "à bord" du combat que l'on regarde : c'est extrêmement instructif.
Quant à l'état d'esprit à avoir pendant le passage, je retiens cette phrase d'un sensei japonais entendue récemment : "Un passage de grade c'est comme un shiai, il faut avoir la même attitude mentale, tout en sachant que les point reçus ne sont pas le plus important." Libéré de la peur de perdre son combat, il ne peut rester que du positif, du constructif.
Alors à moi de vous poser une question : "Faut il attendre d'être prêt pour présenter un grade ?"
De toute façon, je pense sincèrement que nous ne saurons vraiment si nous étions prêt qu'après avoir passé le grade. Ce n'est pas forcément le résultat qui répondra à cette question, mais la façon dont on a vécu notre passage, le ressenti qui nous est venu par rapport à ce moment d'exposition de notre Kendo aux regards des sensei.
C'est important de voir le passage de grade comme un enseignement sur nous même, guidant nos progrès futurs en nous donnant des axes de travail.
Tous les critères de présentation sont clairement exprimés dans les différents règlements des grades selon les pays ainsi qu'au niveau Européen. Je profite de l'occasion pour vous encourager à aller les lire, vous les trouverez sur les différents sites web de vos fédérations.
En France, le Kirigaeshi est demandé systématiquement jusqu'au 3e dan et à la diligence du président du jury à partir de 4ème dan. Il permet effectivement de noter chez le candidat certaines qualités que l'on pourrait tout aussi bien découvrir dans les keiko. Personnellement, en plus du côté "délassant" du Kirigaeshi préalablement aux Keikos, je suis convaincu qu'il peut aussi permettre de "rattraper" un candidat n'ayant pas eu le loisir de s'exprimer pleinement lors des Keikos. Le rôle de Motodachi est particulièrement regardé pour les notions de rythme et surtout de distance qu'il se doit de démontrer.
Il a été essayé pendant quelques années, en France, de faire réaliser les Kata préalablement au Keiko et leur attribuer un critère éliminatoire. Le but était de valoriser le Kendo no kata et ainsi faire progresser le niveau général par les vertus qu'il confère. Faire présenter les kata à tous les candidats faisait allonger le temps que durait le passage ; je suppose que c'est pour cette raison que nous sommes revenu à l'ancienne formule.
Quoi qu'il en soit, les kata sont et demeurent éliminatoires. Le candidat qui n'aurait pas satisfait aux Kata possède un délai d'un an pour les repasser.
Appel aux jurés d'examen, je vous en prie, jouez pleinement votre rôle et n'hésitez pas à mettre une X dans la case Kata si nécessaire... et donc insuffisant.
La composition d'un jury n'est pas aisée. Comme nous l'avons dit précédemment, les différents vécus qui siègeront apporteront de la valeur aux grades qui seront attribués. En tant que "compositeur" de jurys, j'essaye le plus possible de diversifier les expériences en présence afin que le jury dans son ensemble soit en capacité d'évaluer la valeur sur le spectre le plus large et le plus lumineux possible.
Afin que les jurés d'examen puissent donner des conseils à ceux qui viennent leur en demander après le passage, j'ai mis en place une feuille d'évaluation en deux parties : une partie va à la comptabilisation des résultats tandis que la deuxième partie, sur laquelle le juré a pris des notes en face des numéros des candidats, reste en possession du juré lui même.
Je dirais que quelque soit le grade, et ce n'est pas évident à percevoir, une des attentes des jurés est de bien évaluer que le candidat est sur le chemin des progrès.
Alors bien sûr, selon les grades, les attentes sont différentes bien que se cumulant de grade en grade.
A une époque une liste existait comportant les attentes techniques selon les grades ; ce serait réducteur et pléthore de contre-exemples existent de nos jours. Au début du Kendo en Europe, cela a permis de structurer nos progrès. De nos jours, nos jurés d'examen sont suffisamment expérimentés pour se départir d'une telle liste et évaluer en leur âme, conscience et vécu, le niveau des candidats.
Rappelons nous qu'il s'agit d'un examen et que c'est notre propre niveau intrinsèque qui est évalué et sans être en comparaison de celui de notre partenaire. Il se peut qu'aucun des deux ne prenne le dessus et pourtant tous les deux peuvent obtenir le grade. Le jury devra évaluer la capacité à, plutôt que de se baser sur les Yukodatotsu délivrés.
La première chose que les jurés regardent est l'attitude générale composée de l'habillage, le maintien, la démarche, l'étiquette, toutes ces petites choses qui prennent de plus en plus d'importance à mesure que le grade espéré augmente.
Personnellement, pour les hauts grades, je n'ai jamais vu le cas ou une étiquette déplorable se traduisait par un keiko valable par la suite.
En plus de tout ceci, je dirai même : découlant de tout ceci, pour les hauts grades arrive le concept de "shodachi". Littéralement "le premier sabre". Imaginons, deux candidats au 6, 7 ou 8ème dan qui arrivent pour saluer.
Leur démarche, peut être même avant, la façon qu'ils avaient d'être assis sur leur chaise, leur attitude générale est déjà évaluée.
Leur façon de saluer (voir mon précédent article "Reï") exprime leur état d'esprit comme un jeter de sel peut le faire au début d'un combat de Sumo.
Les 3 pas et le Sonkyo sont déjà emplis de Kime. Ils se relèvent, le combat avait déjà commencé, le premier Kiai, le premier échange : Shodachi.
Voilà, beaucoup est déjà écrit, il ne reste que très peu de chance de renverser le jugement déjà quasi fait dans la tête des jurés.
Shodachi n'est pas forcément victorieux mais il doit être intense (Kime), engagé (sutemi), pertinent (Riai) et... donnant une furieuse envie de voir la suite.
Nous l'avons déjà évoqué, chaque juré juge en fonction de son vécu, de ses affinités, des compétences priorisées qu'il considère devoir être acquises et démontrées pour le grade considéré, de la largeur de son spectre d'évaluation, plus large que sa propre pratique. Vient ensuite la prise en considération d'autres facteurs comme les conditions de présentation (type sol, planning, ...), l'âge des candidats, les handicaps qu'ils soient temporaires ou non.
Les candidats sont classés par âge pour la présentation de leur grade ; les groupes de passages (Gumi de 3 ou 4) sont le plus possible harmonisés en tenant compte des tranches d'âge.
Le devoir du juré d'examen est, non pas de sanctionner la performance du candidat mais son niveau. Et je peux comprendre que l'on puisse faire l'amalgame. C'est ainsi que dans beaucoup de passages de grades, la performance qui est associée au niveau des plus jeunes tend à éclipser, aux yeux des jurés, le réel niveau des plus anciens.
Le jugement d'un candidat ayant un handicap, préalablement identifié auprès des organisateurs puis du président du jury, doit tenir compte des capacités/incapacités de réalisation de la performance et malgré tout, et c'est la seule chose qui compte, évaluer le niveau.
Ensemble, Jurés, soyons bien vigilants à prendre en considération ces deux aspects !
Une question m'a été posée après la conférence, je vous la livre ici :
"Nous voyons régulièrement, en Europe et au Japon, des pourcentages de réussite qui sont, d'année en année, approximativement les mêmes pour la réussite des hauts grades. Existerait-t-il des quotas ?"
La réponse est : "Non" bien évidemment. Je comprends que l'on puisse se poser la question mais pour avoir organisé et siégé dans ce type de passage de grades, je peux vous assurer que le résultat ne dépend que du nombre de voix des jurés et qu'il n'y a pas de concertation entre eux.
Merci à tous pour votre participation !
J'ai rapidement écrit cette synthèse pour répondre à la demande de ceux qui n'ont pas pu être présents et aussi pour profiter de la fraicheur de ma mémoire. J'espère que j'ai pu retraduire la substance de nos échanges dans un Français compréhensible.
N'hésitez pas à rebondir sur cette synthèse et poser d'autre questions.
A bientôt sur les parquets !