Le Kendo féminin m'inspire souvent...

Publié le par Jean-Pierre LABRU

Crédit Photo : All Japan Kendo Federation

Avertissement préliminaire

 

L'évocation même du sujet qu'il puisse exister un Kendô féminin fait débat alors imaginez : je me propose de le décrire, le cartographier, le cataloguer (dans le sens : en faire son catalogue de techniques). 

Existe-t-il un Kendo féminin ou, autrement dit, pouvons nous recenser des points communs à la majorité des femmes qui pratiquent le Kendô et qui les différencient de la majorité des hommes.

On a tenté de me dissuader d'écrire cet article, sans doute de peur que mon propos soit mal compris, mal reçu, mal perçu.

Effectivement, comme le disait le pasteur Martin Luther King : "Pour vous faire des ennemis, inutile de déclarer la guerre, dites simplement ce que vous pensez !"

Mais qu'à cela ne tienne, confiant que soit reconnue la bienveillance qui m'anime, je me lance.

Revenons-en au sujet, à commencer par le titre : oui le Kendô féminin m'inspire souvent et vous allez voir pourquoi.

 

Généralités

 

Quelles sont, selon moi, les principales caractéristiques du Kendô féminin ?

Evidemment, nous trouverons vous et moi quelques contre-exemples à ce que je vais décrire par la suite mais comme disait Audiard par la voix de Jean Gabin :"Oui, et y'a aussi des poissons volants mais qui ne constituent pas la majorité du genre."

Morphologiquement, les différences entre femmes et hommes apportent des capacités ou facilités en Kendô à réaliser telle ou telle technique... ou quelques difficultés, par exemple : Le haut du corps plus lourd généralement chez les hommes athlétiques amènent une propension au déséquilibre avant lors de la frappe en force et vitesse.

Par rapport au Kendo masculin, le Kendô féminin, à niveaux, expériences et toutes proportions égales par ailleurs, utilise moins la force, la puissance et la vitesse.

Elles pratiquent plus souvent les Oojiwasa, surtout face à un homme plus grand et plus puissant. Justement, la pratiquante sera plus à l'aise dans des contre-attaques ciblées et dans un mouchoir de poche d'espace-temps, en réponses à des attaques puissantes et lointaines. En effet, les Oojiwasa, quand ils sont bien exécutés, ne demandent pas de force ni de vitesse mais utilisent la force du partenaire à condition de conserver un timing (rythme) optimum.

Plus le niveau et la maturité augmentent, plus le pratiquant pourra se rendre compte que la vitesse pure n'est pas une solution viable, de même que la surprise. Effectivement, les jeunes années de shiai peuvent laisser l'illusion inverse et il conviendra de s'en départir afin de se donner les moyens d'évoluer vers les hauts grades.

Plus pertinents que la force et la vitesse, qui peuvent être mauvaises conseillères, existent le rythme et la cohérence globale des mouvements (déplacements et frappes). De nombreuses fois, pour tenter de convaincre mon auditoire, j'ai démontré un Oojiwasa au ralenti répondant à une frappe lancée à pleine vitesse. L'esprit serein, le corps disponible mais relâché puis le rythme associé à la cohérence font le reste.

Y a t il vraiment des techniques de Kendô spécifiques pour les femmes ?

 

En premier lieu, je pense vraiment que la pratiquante s'adaptera plus souvent à son partenaire que ne le ferait un homme. C'est tellement habituel de voir un homme rapide, puissant et un peu mono-Wasa, voire "one-man-geiko", lancer sa même technique qui que ce soit en face. Une femme elle, par expérience, devant chercher des moyens pour s'exprimer, sera amenée à plus souvent s'adapter.

Debana-wasa et Shikake-wasa

Les Shikake-wasa, attaques directes, ou les Debana-wasa, attaques dans l'intention d'attaque du partenaire, peuvent, bien entendu être réalisées par les pratiquantes. Il faut pour cela qu'elles prennent en considération quelques facteurs. Le principal facteur est l'inertie de leur partenaire, en mouvement ou non, et si elle est disproportionnée par rapport à l'attaque féminine, il conviendra de bien soigner le Ashisabaki. Soit par un Tai-sabaki savamment orchestré en termes de timing et trajectoire, soit par un Tai-atari suffisamment stable pour "rebondir" en restant sur ses appuis.

Avant février 2020 j'aurais dit : "Sur les attaques directes en Men et le Debana-Men notamment, c'est un peu moins facile pour une femme de s'exprimer !" et puis le brillant passage de 6ème dan d'une amie qui fait moins d'1m60 face à un géant bleu de 2m, me fait être moins assertif.

Oojiwasa sur une frappe de Men 

Les Oojiwasa, contre-attaques, sont par définition une bonne réponse à une attaque aussi puissante, engagée et rapide soit-elle. Par l'allonge des bras, alliée parfois à l'inclinaison du haut du corps vers l'avant, avec lesquelles le Men est frappé, il reste largement assez d'espace dans la distance pour délivrer la contre-attaque.

Men-nuki-do, Men-nuki-kote ou Men-nuki-men sont des techniques d'esquive, ayant préalablement laissé croire notre partenaire à la réussite de son attaque ce qui le fait s'engager totalement sur son Men. Le déplacement joue ici encore un rôle déterminant et ses exigences sont tout à fait à la portée d'un jeu de jambes féminin. Dans cette technique, il n'y a pas de contact ni avec le sabre si avec le partenaire lui même. L'éventuelle différence de puissance n'est donc pas un sujet.

Men-Kaeshi-Do, Men-Kaeshi-kote ou Men-Kaeshi-Men utilisent le choc des sabres afin de réutiliser la puissance de la coupe du partenaire pour propulser la notre. Cette technique est hautement exigeante en terme de rythme, il est alors indispensable de bien savoir rediriger (ou dévier) la force surtout face à un attaquant surpuissant. S'en suit, ou plutôt dans un même temps, un indispensable Tai-Sabaki qui nous soustrait à la percussion par le partenaire et ainsi valablement réaliser la frappe et son Zanshin.

Les techniques de Kiri-otoshi ou celles de Uchi-otoshi, nécessitant une interaction forte sur le sabre adverse et demandant un rapport de puissance quasi équivalent afin de les mettre en place sur une attaque adverse, les femmes semblent a priori moins aptes à réaliser ces techniques. Cela dit, je serais très heureux de me rendre compte un jour, à mes dépends, qu'une exception confirme toujours une règle.

Oojiwasa sur une frappe de Kote 

Quasi toutes les réponses possible à une attaque de Kote sont réalisables par les pratiquantes. En effet, la puissance de l'attaquant arrive moins par le haut et il est ainsi plus facile de s'en accommoder sans avoir besoin de déployer de la force physique.

Ai-kote-men est la réponse par Kote-men à une attaque de Kote. Elle demande une capacité de percussion de Kikentai no Itchi qui pourrait ne pas correspondre à une capacité féminine. Cependant, le kote du Kote-men devant arriver en même temps que le koté attaqué, il suffira que le Kime (détermination, implication, ferveur) soit suffisant pour annuler l'attaque de l'adversaire et conclure par le Men.

La technique d'Oojiwasa féminine par excellence

La technique que je trouve la plus adaptée à la gent féminine est Suriage, sous toutes ses formes et en réponse aussi bien à l'attaque de Men que de Kote. En effet, suriage, plus la frappe du partenaire est puissante, et plus il se retrouve emporté par son élan lorsque le suriage aura fait glisser son sabre dans le vent.

Il se trouve que cette technique est celle que j'utilise le plus souvent en Oojiwasa ; Cela doit assurément vouloir être une expression de mon côté féminin. ;^)

Cette technique demande une grande précision de trajectoires. La lecture de trajectoire du sabre du partenaire, la maîtrise de celle de son propre sabre, la gestion de celle de son propre déplacement. La réussite de la technique dépend de la délicatesse avec laquelle vous avez fait glisser la lame du partenaire sur la votre fortement connectée à votre Kikentai no Itchi, tout en utilisant le plat du sabre (Shinogi).

L'absence de blocage, l'absence de choc, d'impact, fait que la force ne prend pas part à la technique mais aussi que le rythme n'est aucunement retardé et cela devient redoutablement efficace.

Alors, oui, je dis que suriage est une technique très féminine.

 

Le Kendô féminin en Europe

 

Le Kendo féminin européen arrive aujourd'hui à un tournant historique. 

Au 28 avril 2021, 37 femmes avaient obtenu le 6edan et 8 de plus le 7eme, dont deux 7e ne sont pas nées au Japon. Ce qui fait 45 femmes haut gradées en Europe dont une 7e dan et deux 6e dan passées en février 2020.

Nous pouvons désormais dire que le haut niveau Européen du Kendô féminin existe ; de là à dire qu'il peut s'organiser dans une pratique purement féminine et en autonomie, il y a plus qu'un pas. D'ailleurs pourquoi en aurait il besoin ?

Je ne prononcerai pas sur l'utilité de stages spécifiquement féminin mais rien que le fait de ne pas souhaiter se prononcer annonce déjà ne pas être convaincu de leur utilité. Bien entendu, je ne parle ici que de l'utilité en termes technique de Kendô sauf évidemment de se dire que c'est une excellente occasion de pratiquer entre femmes, surtout pour celles qui ont majoritairement des hommes comme opposition dans leur dojo.

Au Japon, les femmes et les hommes pratiquent très souvent chacun de leur côté, dans leur genre. De toutes les façons, la société japonaise est orientée comme cela, séparant, ségréguant les hommes et les femmes dans de nombreux domaines.

Et nous voilà presque étonnés que le Japon subisse de nos jours un énorme problème démographique. Je me suis marié deux fois et à chaque fois avec une pratiquante de Kendô qui m'ont donné en tout trois beaux enfants. Dites moi comment j'aurais fait sinon ! (Rires)

Plus sérieusement... 

J'ai beaucoup appris à combattre contre des femmes en Kendô, tout en me heurtant également à mes valeurs venant notamment de mon éducation et de cette phrase : "On ne frappe jamais une femme, ne serait-ce qu'avec une fleur." Et donc prenant en compte ce précepte, quelles solutions s'offrent à nous, "pauvres diables que nous sommes", pour faire face à une combattante volontaire et décomplexée, elle.

La vitesse, la force, la percussion de nos physiques cinétiquement supérieurs, oui mais voilà, pour toutes ces raisons évoquées, j'ai préféré choisir la douceur maitrisée de la technique.

 

Conclusion

 

Je ne souhaite surtout pas conclure ici mes échanges, j'ai d'elles encore tellement à apprendre...

Imaginez qu'une fois que, grâce à votre pratique ayant souvent mélangé les genres, vous avez perfectionné vos techniques pour qu'elles ne s'appuient que sur le timing, la distance, le maniement en douceur, les TeNoUchi suaves, impacts déposés, coupants mais délicats...

Imaginez, comme quand nous rencontrons à nouveau un solide gaillard, nos techniques ainsi fémininement aiguisées peuvent s'allier à notre puissance sans entrave avec tout ce que cela peut nous apporter comme facteurs clefs de réussite.

Un dernier petit mot pour vous Mesdames : KEIKO ONEGAISHIMASU !!!

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article