Certains, dont je suis, pensent que de rechercher à devancer l'attaque représente l'essence même de beaucoup de techniques de sabre.
Ne dit-on pas que les deux mots expliquant toutes les défaites depuis que le monde est monde sont : "Trop tard !" ?!
Devancer, dans ce cas, ne veut pas forcément signifier prendre l'initiative de l'action mais plutôt prendre l'initiative de l'ascendant sur l'intention : prendre le Sen !
Ce sujet, on pourrait l'illustrer au moyen du Kendo mais, tout aussi bien, en analysant un combat de chats. Etant plus expérimenté en Kendo, je vais plutôt développer mon propos à travers le combat au Sabre.
Debana-waza signifie la technique qui utilise l’instant du départ tel un sprinter qui cherche à partir au moment même du coup de feu, au risque de faire un faux départ.
Nos disciplines se pratiquent à deux et ceci même si quelque fois le partenaire peut sembler invisible aux non-initiés.
"Ichi gan !" : En premier, il faut bien observer : metsuke !
Nous observons notre partenaire et il nous observe. Nous savons qu'il sait que nous l'observons et réciproquement.
De notre acuité dépend directement la pertinence et l'actualité des informations que nous recueillons. Dès lors, un lien entre nous est créé et par ce biais, nous "communiquons".
Par notre attitude et notre comportement, notre partenaire et nous, l'un à l'autre, nous nous communiquons nos intentions, nos capacités d'actions, voire d'autres sentiments que nous aimerions souvent garder pour nous.
Jusqu'à ce que, comprendront ceux qui ont vu le film Avatar, nous puissions déclarer à notre partenaire : "Je te vois !".
Ce lien primal, animal, instinctif nous relie durant tout le combat, et ceci surtout sans s'attarder à l'analyse, ce qui hypothèquerait nos actions.
Le ressenti puis l'action sont intimement liés et, celle-ci chevauchant celui-là, nous conçoivent le debana-waza.
La première disponibilité "Ichi gan" est celle qui, les yeux et le kokoro grands ouverts, nous permet de "voir" le partenaire.
La disponibilité qui suit "ni soku" relève de notre capacité à nous déplacer vers lui au bon moment. A partir du moment où l'on intercepte le partenaire pendant son parcours, un pas mesuré suffit. Il permet un rythme de frappe plus concentré tout en requérant l’engagement suffisant à délivrer la puissance du ki ken tai no itchi.
En troisième "san tan" vient le courage, la détermination, la confiance en soi et l'engagement dans l'action.
En quatrième seulement arrive "shi riki" : l'habilité technique : en un seul temps, une coupe précise et intense : Sae !
Notre acuité de perception nous renseigne en temps réel sur les différents rythmes du partenaire : mouvements, déplacements, pensée, respiration, battements de cœur…
Et quand il y a un rythme, il existe un contre-rythme : le contre-temps appelé aussi le temps faible.
Le rythme d'un mouvement d'attaque débute lors de la prise de décision, se poursuit par l'abandon du Kamae pour lancer la frappe et dure jusqu’à l'impact du shinai sur la partie adverse.
Le déclenchement de ce processus de décision et d’action impose, par essence, que toutes ses composantes anatomiques et mentales soient toutes calées sur le rythme que nécessite la coordination de l'ensemble.
Une fois ce rythme bien assimilé par nos soins, l’anticipation du lancement du mouvement devient possible ; le contre-temps nous permet alors d'intercepter le partenaire à mi-chemin de son mouvement pendant son « temps faible ».
Les qualités d’empathie requises par le debana-waza demandent un volume de travail certain.
Notre talent d’observation, le développement de notre acuité, cela va sans dire, se travaillent à partir du moment où l’on ouvre les yeux le matin et surtout à partir du moment où chaque image remontée au cerveau suscite une analyse inconsciente provoquant une émotion : « Tiens, il a l’air en forme aujourd’hui ! ».
La captation des différents rythmes relève plus d’une notion musicale, tout autant que la compétence à intuiter les trajectoires peuvent être acquises par l’exercice des sports à trajectoires comme les sports de balles.
La somme des deux donne une excellente capacité de lecture des contre-temps. Et quoi de mieux que le travail de motodachi pour s’améliorer sur ces points ?!
La concision de frappe dans un espace-temps contraint : cela consiste à concentrer une attaque standard, compressée en un rythme et un déplacement le plus resserré possible, permettant ainsi la puissante précision spatio-temporelle indispensable au debana.
Des acuités réciproques nait le lien. A travers ce lien, les intentions s'expriment, s'opposent, s'affrontent. Une frappe va se développer, elle est perçue avant même qu'elle ne soit lancée.
L'opportunité, le contre-rythme, la détermination, l'habilité technique et la densité de l’attaque font le reste.
Attaquez l'intention du partenaire : "Si tu lances une frappe, je te devance en debana !" ; et d'un niveau suffisamment avancé, il vous perçoit et souvent, il fait de même.
Que voilà une belle et fraîche opposition réciproque du Seme !
(Article aussi publié dans la revue Kendo Mag éditée par le CNKDR)