L'ôjiwaza, est une réponse technique à une attaque venant du partenaire : une contre-attaque. Ôji vient de verbe ôjiru répondre, réagir. Waza : la technique.
Que les mots, par leur étymologie seule, peuvent être insuffisants à traduire les nombreuses dimensions d'un concept !
Les ôjiwaza sont très présents dans nos disciplines ; on pense au Kendô, où le terme semble plus utilisé, mais en proportion d'utilisation au quotidien, en premier vient le Iaido, le Jodo, puis sur un même plan le Kendo, le Naginata et le Chanbara. Pour ces 3 dernières, le pratiquant décide (ou est en mesure) d'utiliser ou non des ôjiwaza. On peut être expérimenté, fort et mature tout en ne pratiquant que les shikakewaza "attaques directes".
Pour les shikakewaza, de nombreuses répétitions en uchikomi/kakarigeiko peuvent suffire à en développer une compétence solide ; En revanche, pour un apprentissage en conscience de l'ôjiwaza, le travail à travers le kihon dans toutes ses composantes est indispensable. Il n’existe aucun pratiquant de haut niveau, maitrisant l'ôjiwaza, qui n’ait acquis préalablement la compréhension esprit/corps délivrée par le kihon.
Comme beaucoup de techniques, les ôjiwaza demandent une bonne coordination, un maniement précis du sabre et un déplacement adapté. Mais cette fois-ci, les trajectoires et déplacements sont au millimètre et dans un timing au millième de seconde. Le maniement du sabre intègre souvent les "prises de fer" (interactions) avec le sabre du partenaire. Le te no uchi, ou "sentiment du fer" comme il est appelé en escrime, devient alors prépondérant durant la technique elle-même et non pas uniquement lors de sa conclusion : la coupe.
En premier, il conviendra d'apprendre à utiliser au mieux son corps et son sabre. C'est encore mieux quand les deux se meuvent de concert. Les amplitudes de déplacements de corps et sabre seront, au maximum, élargies afin d'acquérir trajectoires, fluidité ainsi que les mobilisations mentales et physiques nécessaires (Ki). Il est capital d'appréhender finement les trajectoires corps/sabre de nos partenaires ; un peu comme on peut comprendre l'effet qui a été donné, dans un sport de balles, à travers le décryptage instantané du geste du joueur. La compréhension fine de la trajectoire permet, au meilleur moment, d'intercepter ou se soustraire au sabre du partenaire. Finalement, la qualité d'acquisition de la technique d'ôjiwaza dépendra de la conscience investie dans tous ces aspects de l'apprentissage.
Le motodachi n'aura de cesse que de recréer la situation réelle du combat et ainsi mettre l'ôjiwaza dans son élément contextuel le plus véridique.
Le motodachi, uchidachi, s'efforce d'oublier qu'il va recevoir ôjiwaza, et se concentre sur sa frappe le plus sincèrement possible. Réaliser ceci correctement n'est pas une question de niveau : venir chercher le sabre de shidachi dans le men de Gohonme du Kendo no Kata est très courant quel que soit le grade. C'est humain de s'adapter à la situation, on vient à la rencontre du sabre de shidachi pensant inconsciemment aider à la réalisation.
"Inconsciemment"… Là est le vrai travail sur soi : aiguiser sa conscience !
Travailler prioritairement à vitesse réduite, afin de bien assimiler nos propres rythmes bien sûr, et très vite, de s'attacher à percevoir et intégrer ceux du partenaire. Selon les ôjiwaza, les rythmes d'action (timing) sont différents.
Tout d'abord, le rythme sera appréhendé à travers le concept qui considère la réponse comme faisant partie de la question. En effet l'ôjiwaza n'attend pas l'attaque de l'autre, il compose sur celle-ci, selon des rythmes différents en fonction des techniques utilisées.
Ci-dessous, une illustration des rythmes selon les techniques, l'attaque comme une question "Quelle heure est-il ?" et ôjiwaza comme la réponse "(10h!!!)" :
*Debana n'est pas classifiée comme un ôjiwaza, cela dit, prenons ici comme référence le rythme du debana pour expliquer l'ôjiwaza et surtout son état d'esprit : ne pas attendre, aller au-devant !
** Concernant le cas particulier de Men nuki Doh : il s’intercale entre le debana et le suriage.
L'ôjiwaza étant une réponse, il repose sur une question. Avez-vous remarqué combien il est plus aisé de répondre à une question à laquelle on s’attendait ?
Savoir quelle technique va être réalisée (quoi), à quel moment (quand) et de quelle manière (comment) est la chose la plus difficile à obtenir. Pour mener à bien l'ôjiwaza, on maîtrisera les quoi-quand-comment mais aussi on saura attirer le partenaire dans une attaque "à corps perdu".
Et dans notre cas, tout le travail va être de rendre "plus que possible" cette attaque que l’on souhaite de nos vœux. Pour que le partenaire attaque à "corps perdu", sans hésitation, notre kamae doit comporter une faille suffisamment "appétissante", un piège à miel, ou comme nous l'illustre HIRAKAWA Nobuo sensei :"Chocolat …??? ==> Pas chocolat !" où l'ôjiwaza s'est refermé sur le gourmand.
Le phénomène de l'arroseur arrosé arrive parfois : croyant faire un debana men je me trouve contré en kaeshi-doh par mon partenaire ayant gagné, pour cette fois-ci, le jeu de chifoumi/kendô. Le chifumi : une compétence à développer ?
Un ôjiwaza comporte donc un pari sur le quoi-quand-comment ; Mais surtout ne pas attendre de savoir si le pari est gagné avant d'actionner sa technique d'ôjiwaza : agir avec les "yeux de la foi", la foi en soi, en ses choix contextuels et techniques de l'instant.
La technique même de l'ôjiwaza ne représente "que" de l'apprentissage psychomoteur et s'acquerra par le travail en kihon notamment.
Au préalable l'apprentissage de soi, de l'autre, des rythmes et des trajectoires : s'y prendre quelques années à l'avance car la somme des acquisitions est conséquente.
Prenez le Sen, c'est le chifumi appliqué au Kendo.
Construisez et provoquez l'avenir qui convient à y apposer votre ôjiwaza.
Croire en vos chances, foncez et savourez le beau zanshin de l'ôjiwaza ainsi réussi.
(Article aussi publié dans la revue Kendo Mag éditée par le CNKDR)