Le premier système de dan, allant de 1 à 10, était utilisé par Jigoro Kano au Kodokan depuis 1882 ;
La légende raconte que Jigoro Kano l'a emprunté à une école de Go de la période Edô qui elle-même s'était inspirée des niveaux d'avancement hiérarchiques des fonctionnaires dans la société chinoise antique.
Jigoro Kano l'a apporté avec lui quand il est entré comme professeur au Dai Nippon Butokukai (Association des Vertus Martiales du Grand Japon, organisation non gouvernementale créée en 1895). Le système de kyu (1 à 6) était utilisé par la police (Keishicho) depuis 1886.
En 1917, le Kenjutsu au sein du Butokukai, sous la direction de TAKANO Sasaburo, décide d'adopter le système de Dan mais uniquement jusqu'au 5e, et se poursuivait avec les shogos : Renshi, Kyoshi et Hanshi.
Depuis 1937, les Dan à partir du 6e commencent à être utilisés et le système de 10 Dan sera officiellement instauré par ZNKR* dès 1957.
En 2000, la fédération japonaise décide de ne plus accorder de 10e dan et que le plus haut Dan accordé serait le 8e.
Quel peut être l'intérêt de hiérarchiser ainsi les pratiquants ?
Oui, à y regarder de plus près, nous pouvons très aisément faire l'analogie avec les grades d'avancement dans une carrière militaire. Serait-ce le côté martial qui l'exige ?
Cette reconnaissance de niveau, à quoi peut-elle servir ?
Le niveau démontré lors du passage de grade, ne s'émousse-t-il pas avec le temps ?
Doit-on d'ailleurs parler de niveau ou d'avancement ? …ok, mais l'avancement de quoi ?
Par cet article, je ne prétends pas répondre à toutes ces questions mais proposer quelques éclairages afin que chacun puisse se faire sa propre opinion.
Le système de grade peut être vu comme un concept militaire d'un autre âge et instauré par un ancien mode de société qui n'a plus cours. Savoir qui est notre supérieur et qui est notre subordonné permettrait de se repérer quant à notre rang dans la société. Ce serait comme un positionnement identitaire en quelque sorte. Pour l'alignement dans le dojo, l'ordre de grade étant la règle, remonter dans la ligne quand on obtient le grade supérieur, cela peut flatter les bas instincts de l'égo.
Nous connaissons tous, quelques pratiquants, ils ne sont pas nombreux, qui disent préférer ne pas, ou plus, passer de grades. Une fois que l'on a identifié ceux qui font ce choix par peur de l'échec, les autres semblent avoir une vraie détermination idéologique sur le sujet. Je les encourage à s'exprimer dans un des numéros suivants de Ken Do Mag.
Le rapport à soi-même peut éclore une fois évacuées toutes les pensées mesquines dont est friande la nature humaine : qui n'a pas, un jour, souhaité ardemment réussir son grade afin de rejoindre ou dépasser tel ou telle, ou comme une revanche sur un élément extérieur à soi-même ?!
C'est en nous recentrant humblement sur notre propre avancement, progression, élévation (!) que nous pouvons trouver le vrai sens du système de grade. Des objectifs de progrès, de réalisation personnelle à travers la pratique d'un ou plusieurs Budo, sont des marqueurs, des jalons qui tracent notre route sur la voie du sabre.
Le Kendo, au sens large incluant selon moi l’ensemble des arts du Sabre Japonais, est conçu pour discipliner le caractère de l’homme à travers la mise en œuvre des principes du sabre. Et bien entendu, cette discipline du caractère, cette élévation du niveau de l'être humain que nous sommes, n'est visible le plus souvent que parce qu’elle est mesurée ; Elle est donc graduée au moyen de ces évaluations que sont les passages de grades.
Bien entendu, ceci n'est rendu possible que si l'attribution d'un grade possède une valeur intrinsèque et réellement représentative de l'évolution d'un pratiquant.
J'ai déjà écrit et tenu des discussions ces dernières années sur le sujet ; j'ai également contribué à l'initiative d'une annexe au règlement des grades de EKF validée en juillet 2024 lors de l’Assemblée Générale EKF à Milan.
La valeur d'un grade provient uniquement de la façon dont il est attribué. En premier lieu, le jury se doit d'être constitué d'experts en activité de la discipline, provenant d'horizons divers tant dans leur appartenance à des Ryuha*, qu'ayant eu des parcours différents, des senseis et visions différentes de la discipline.
Une fois un tel jury constitué, quand un candidat parvient à rassembler sur son nom (son numéro) une majorité, voire l'unanimité des membres du jury, la valeur du grade obtenu devient évidente.
Tout en essayant de limiter le plus possible les jugements par « défaut que quelque chose » afin de privilégier les éléments positifs de la prestation, un juré se doit de juger la prestation des candidats de façons holistique, c’est-à-dire en considérant l’ensemble de ce que présente le candudat comme un tout ; et ce tout-là provoque une émotion qui va dans le sens, ou pas, de l’attribution du vote ; Effectivement une subjectivité, toute raisonnée, contrôlée, maîtrisée dans ses éventuels débordements, devient ainsi l’élément fondateur du jugement.
Un message aux jurés : Jugez en votre âme et conscience ! N'essayez pas de trouver le consensus, si vos votes sont identiques aux résultats finaux, votre apport aura été mathématiquement inexistant dans ce passage de grades.
Le plus souvent, votre jugement sera clair : oui "O" ou non "X". Quelquefois, il pourra vous arriver d'être incertain sur un candidat. Dans ce cas, attribuez votre voix à ce candidat car, s'il a fait douter votre expertise, il se cache assurément une certaine valeur. Si vous êtes le seul dans ce cas-là, pas de conséquences, mais s'il a convaincu ou ébranlé les certitudes de suffisamment d'autres jurés, étant donné le long vécu et la pluralité des parcours de chacun des jurés, c'est que ce candidat mérite son grade.
Et si en tant que jury, vous n'avez toujours que des certitudes, c'est justement là qu'il faudrait vous remettre en question.
"On n'est champion que d'un jour mais un grade se doit d'être mérité lors de chaque entrainement." (Sagesse martiale)
En vertu de ce principe, et de quelques autres d'ailleurs, se préparer spécifiquement à un passage de grade est un concept qui m'a toujours paru incongru. Je ne comprends pas le besoin de se préparer autrement que par l'entraînement habituel, la progression continuelle liée à notre parcours sur la voie du Sabre. Est ce à dire que l'on doive se préparer spécifiquement car on n'est pas au niveau et que l'on souhaite faire un "coup" lors du passage au moyen d'un bachotage circonstancié ?
Et dans ce cas, si d'aventure on l'obtient, continuera-t-on à mériter ce grade sitôt l'examen terminé ? J'écoute certains de mes amis de Kendô avancer les poncifs suivants : "Il faut organiser des stages spécifiques pour se préparer à passer les hauts grades." Ou aussi : "Je n'ai pas assez l'occasion de faire assez de keiko avec des combattants de haut niveau pour progresser ».
Vous l'avez compris, je ne partage pas ces points de vue.
J'ai hésité longuement à l’évoquer tant le sujet est personnel, et d'ailleurs ce n'est que mon point de vue personnel que j'exprime ; Cependant, percevant autour de moi divers types d'incompréhension de ma démarche, me voici donc. J'ai employé le mot quête en référence à celle du Graal tant la cible peut sembler inatteignable, si l’on tient compte des critères requis (7e dan depuis 10 ans) pour se présenter et si l'on réalise le faible pourcentage de réussite (6 reçus pour 1000 candidats en moyenne).
La tentation d'imaginer le réussir est grande. J'y résiste car la prétention n'est pas facteur de réussite : la bataille de Marathon en est une belle leçon donnée aux Perses. Après mon 5e essai du 8e dan, en mai dernier, je me suis rendu compte que chaque tentative m'apportait sur bien des plans : techniques, mental, personnel… Comme si chaque échec, mais en est-ce vraiment un, me faisait gravir une marche supplémentaire. N'en déplaise à quelques cartésiens chroniques, présenter mon 8e dan fait intégralement partie de ma formation de Kenshi, d'enseignant, et d’homme tout court.
A méditer, et c'est un apprentissage sans fin, le poétique conseil que HIGASHI Yoshimi sensei, membre de mon jury du mois de Mai 2024, m'a donné est : « La technique est bien, il faut juste faire éclore ton cœur encore plus largement ». Tout un programme !
Nous devons considérer un passage de grade plutôt comme une audition que comme un examen ; une audition pour un rôle : celui de Xème Dan pour la vie. Le passage de grade n'est qu'une évaluation de notre avancement. Montrer qui nous sommes, au mieux de votre valeur, c'est le seul but à rechercher pour un passage. Le jury fait le reste. Le jury est un instrument de mesure, il ne doit pas modifier la qualité de l'expérience : en somme vous ne devez rien faire pour plaire au jury. Soyez convaincu de votre valeur, convainquez en votre partenaire et, si la valeur correspond au grade attendu, le jury sera convaincu.
*ZNKR : Zen Nihon Kendo Renmei, Fédération Japonaise de Kendo. Vue aussi sous le sigle AJKF : All Japan Kendo Federation.
*Ryuha : Ecole de Sabre de style ancien, terme principalement rencontré au Iaido