Par Jean-Pierre LABRU, Renshi 7é Dan de Kendô
Une gageure, une utopie, que sais-je, une folie de vouloir, au Kendô, avec un shinaï de bambou, couper une partie référencée de son partenaire de jeu. Je conçois à première vue, que la pensée puisse faire sourire et même que cela puisse tenter certains de m'inviter, un mercredi soir chez eux, à une soirée pour en débattre avec d'autres passionnés, bâtisseurs de tour Eiffel en allumettes par exemple.
Pour ceux des pratiquants de Kendô sincères et qui joue à Zorro, surtout ne changez rien, continuez avec cette "insoutenable légèreté de l'être" qui fait de vous de si bons camarades !
Pour ceux qui, par la technique dans un premier temps, veulent donner, trouver, imaginer, virtualiser, idéaliser la gravité d'un combat au sabre dans leur pratique, je vous encourage à lire la suite. Et à l'appliquer...
De façon très simpliste, car tout pratiquant expert de Iaido ou Battodo saurait le dire mieux que moi, je vais tenter d'énoncer les principes de base de la coupe au sabre japonais.
Imaginons une lame courbe de sabre japonais fendant l'espace, l'air ainsi que tout ce qui se trouve sur son passage. La position de la lame dans la trajectoire suivant une logique toute aérodynamique, sans qu'il n'y ait besoin de plus expliquer, fait que le trajet de cette lame sépare l'espace en deux.
Maintenant, nous connaissons tous sur notre shinaï la partie la plus tranchante du sabre, le dernier tiers de la lame. Ici aussi, il est aisé de comprendre que dans l'arc de cercle de la trajectoire, cette partie est celle qui "voyage" le plus vite.
La courbure de la lame apporte un agrandissement de l'angle d'attaque de la coupe. Prenons l'exemple d'un shinai et d'un boken, à geste équivalent, position des mains équivalente et cible identique, le shinaï arrive plus "à plat" sur la cible que ne le fait le boken. Cet angle supplémentaire apporté par la courbure de la lame donne plus de "confort" (si je peux oser ce mot) dans la coupe. Le choc dans les mains en retour en est moins important.
Comme ceux qui me suivent sur Facebook le savent, je suis en train de lire le "Teikoku Kendô Kyohon" écrit en 1932, révisé en 1937 par OGAWA Kinnosuke Hanshi qui deviendra 10ème Dan en 1957, traduit en Anglais par mon ami George Mc CALL.
Voici donc ce que OGAWA senseï a écrit sur ce sujet :
"Vous qui étudiez le Kendô, vous devez considérer votre shinaï comme s'il était un sabre célèbre et tranchant forgé par le maître MASAMUNE lui même; cela doit être, en permanence, une 'valeur' que vous respectez et en laquelle vous croyez."
Voilà, je pourrais m'arrêter ici dans mon article car ceux qui ont compris, perçu, reçu, senti résonner en eux ces premières lignes sont ceux qui coupent déjà ou qui, un jour, couperont avec leur sabre de bambou.
Mon éternel optimisme me dit que je devrais néanmoins tenter de conquérir de nouveaux membres de la coupe au bambou, alors voici 3 cas pratiques que tout un chacun peut expérimenter et s'approprier :
Cela semble évident quand on le dit, cela l'est moins quand on pratique, le sens du tranchant doit être orienté précisément et exactement dans le sens de la coupe.
Combien d'entre nous faisons les sayumen de kirigaeshi avec le plat de la lame, en tous cas, pas tout à fait avec le tranchant. Vous seriez surpris, et même à haut niveau !!!
(PDLR : °°°Et voilà, je viens de perdre encore une dizaine d'amis sur Facebook avec cette réflexion !!!°°°)
Dans tous les cas, pour une coupe allant du haut vers le bas (diagonale ou pas), le point de repère d'une coupe au sabre, en complément du respect du sens du tranchant et de la bonne partie du sabre, est que les mains, lors de l'impact, doivent être en dessous du niveau où se trouve la pointe du sabre.
On entend dire : "Pour Gyaku-doh, il faut que la frappe soit plus forte que pour un Migi-doh !".
Peu de gens savent que c'est pour la même raison que l'on roule à gauche au Japon. !!!
En effet, du côté gauche se porte le fourreau et parfois même un deuxième sabre. C'est donc pour "assurer le coup" qu'il faut assurer la coupe avec une vigueur supplémentaire. Et cf. ci dessus, à l'impact, le Gyaku-doh doit avoir les mains plus basses que le niveau de la pointe du sabre.
...et prenez au sérieux la menace de OGAWA senseï qui a écrit :
"Si vous considérer ou traitez votre shinaï comme s'il n'était qu'un vulgaire bout de bois ou un bâton, votre Kendô s'apparentera à ce qu'on appelle (en 1932) 'Waza kenjutsu' et toute la signification du Kendô lui même disparaïtra."
Vous qui me lisez depuis quelques posts, vous savez que je fonctionne beaucoup à l'intime conviction. Et bien dans ce cas, mon intime conviction porte sur le fait que, de la considération que l'on porte au shinai, vient la capacité de l'utiliser comme un sabre.
De même que, de la considération que l'on porte au combat de Kendô, cette capacité à concevoir virtuellement, dans ses keikos, un combat réel au Sabre, vient la capacité à être, et à progresser, sur la voie du Sabre.
Et comme je le dis souvent, c'est par ce biais, qui n'est en fait qu'une droiture, que l'on peut tirer le plus grand profit d'une mort au combat, puisque, au final, on y survit et on en tire les précieux enseignements.