Le poids des mains

Publié le par Jean-Pierre LABRU

Le poids des mains

Cela ne vous a pas échappé, nous utilisons tous un (voire plusieurs) outil(s) "extra-corporel" lors de nos échanges endiablés de coups, mais coupes, de sabres...  ...de bambou.

Notre schéma corporel se retrouve ainsi agrémenté d'une composante nouvelle que nous n'avons jamais encore expérimentée avant nos débuts en Kendô.

Tels les bébés qui apprennent à se servir d'une cuillère, avec des réussites diverses, nous avons besoin d'apprendre à manier notre outil, tranchant ou non, et tout en respectant, comme le rappelle la ZNKR, les principes du Sabre.

...les principes du Sabre

Un des premiers principes du Sabre selon moi, et non des moindres, est qu'un Sabre, ça coupe !

Enfin ça devrait... et c'est là que commence ma longue liste de critiques, se voulant constructives, et construites à partir d'observations de pratiquants européens. Même si j'espère que certains français se reconnaîtront et entamerons la dure et longue remise en questions de leur apprentissage, et donc ré-apprentissage, du te no uchi (manipulation du sabre par le travail de l'intérieur des mains).

Je vous le dis sans ambages, pour certains la tâche est énorme, d'autant plus que les années de pratiques ont ancré en eux une "certaine" (dans le sens de certitude) façon de tenir leur Sabre.

Laissons derrière nous une constatation "enfoncement de porte ouverte" qui tendrait à penser que chez les pratiquants ayant travaillé longtemps et souvent au bokken ou au iaïto, la proportion de chantiers à lancer est bien moindre. C'est cruellement vrai !

Et pour ma part, est-ce ma lointaine pratique d'Ono-Ha Itto-ryu ou bien mon petit et ancien 2e dan de Iai-do (ou les deux) qui m'ont enseigné la recherche perpétuelle de la bonne sensation dans les mains ?! 

Alors oui, et si vous tous preniez comme vade-mecum dans les principes du Sabre qu'un Sabre ça coupe ?

Un test, Le Test : votre te no uchi contre sur une botte de paille au moyen d'un vrai Sabre ?!

Principes encore...

Ah oui j'oubliais, pour couper, un Sabre a besoin que la lame soit positionnée avec le tranchant dans le même sens que la trajectoire de la lame et que la lame arrive le plus perpendiculairement possible à la cible afin de ne pas riper.

Un autre des principes importants selon moi est que, afin d'utiliser au mieux de son efficience, la courbure de la lame dans la coupe, il convient d'entamer celle ci avec les mains plus basses que le point d'entrée de la lame.

On le voit, en tous cas on l'attend (dixit un arbitre) de voir cette notion bien mise en pratique pour Kote et pour Do. Pour le men, cela semble plutôt inévitable... quoique !? Regardez bien attentivement certains des Men de Miyasaki Masahiro !!!

Ensuite dans les principes du Sabre, j'y ajouterais le respect. Le respect qu'il convient de porter au Sabre tout simplement... mais là je sais que pour certains, je me rapproche dangereusement du mysticisme !  Oui et alors ?

Le plus commun des modes "bâton" : le marteau pilon

Vous l'avez compris, quand on ne tient pas en considération dans sa pratique du Kendô, les principes du Sabre, inévitablement, on se retrouve à utiliser son shinaï comme un bâton.

La prise marteau des deux mains sur le shinaï : La prise marteau est la position des mains dans laquelle les 5 doigts de la main sont perpendiculaires à l'axe du shinaï.

Les effets induits de cette position des mains apporte de la puissance dans les frappes, de la raideur aussi, et cela fait perdre de l'allonge.

De par cette prise de main marteau, mécaniquement quand on tend les bras devant, la pointe du shinaï est dressée vers le haut à 45° minimum par rapport à l'horizontale.

Cette inclinaison de lame n'est pas propice à délivrer un impact de Men alors, le plus souvent, il s'opère un levier entre les deux mains; la gauche se lève pendant que la droite descend, afin de frapper la cible.

Avec cette position des mains, le sens du tranchant n'est absolument pas contrôlable dans la trajectoire que l'on donne au shinaï et l'on se retrouve à frapper Kote ou Do avec le plat du Sabre la plupart du temps.

Cette façon de faire est souvent rencontrée chez des pratiquants ayant commencé jeunes sans que cette façon de tenir le shinaï ne leur ait été corrigée.

Beaucoup plus rarement, j'ai rencontré également le mode "Massue". Ce mode ci se rapproche un peu du "Marteau Pilon" mais avec une composante supplémentaire : la frappe à courte distance, à bras raccourcis, les mains plutôt rapprochées sur le shinai, un peu style bate de baseball.

Le syndrome du "Comme ça chef ?"

Un petit village d'irréductibles au sein du Kendo français rencontre aussi une autre problématique dans leur te no uchi.

Quand on regarde leur positionnement des mains sur le Sabre, au premier abord, il se peut qu'on soit impressionné. Quelle belle forme de mains sur le Sabre ! On dirait même qu'avec les Kotes, chacun des doigts possède une vie propre sur le shinai. Magnifique !

Il est évident que dans leur apprentissage, depuis le plus jeune âge, on leur a inculqué les bienfaits d'un sabre bien tenu, les mains bien disposées dans une forme montrant une dextérité efficiente.

Et puis, il faut en recevoir une frappe pour se rendre compte que la forme ne fait pas tout et que dans le fond, il y en manque justement.

Je regardais justement un de mes amis d'entre eux faire suburi. Et bien, vous ne me croirez peut être pas mais, son petit doigt de la main gauche, lors de la frappe de men, se balade allègrement sur la tsuka à plusieurs centimètres de distance de l'emplacement où il se trouve lors du shudan no kamae.

Avoir une bonne forme de mains sur le shinai c'est assurément une bonne chose mais elle doit résulter d'un fond de tenue du sabre, basé sur ses principes et notamment sur sa capacité à couper.

Alors que faire ?

Toujours garder à l'esprit les principes du Sabre...

C'est plus facile quand on est dans le début de sa pratique (10 premières années), il faut créer dans votre schéma corporel ce nouveau membre que doit devenir le Sabre et construire sa nouvelle articulation.

En effet, je le dis souvent, afin d'être précis et d'être en mesure de transmettre la puissance du corps dans le dernier tiers de la lame, une articulation pérenne doit être mise en place.

Permettant le mouvement d'une articulation, nous avons des muscles, des tendons, des ligaments et des os.

Dans notre cas, 

  • les os sont représentés par les radius et cubitus d'un coté et Sabre de l'autre

  • Les ligaments par les petits doigts des deux mains qui sont "vissés" invariablement au même endroit sur la tsuka du Sabre. Ils représentent ainsi autant de repères cognitifs pour acquérir le bon mouvement, la bonne distance et permettent également de conserver le repère du sens du tranchant

  • Les tendons par les poignets, les mains et les autres doigts qui transmettent la puissance musculaire

  • les muscles sont représentés principalement par les palmaires (muscles de l'avant-bras) qui rendent mobiles les tendons (poignets, mains et doigts)

  • le tranchant de la lame, en terme de mouvement, est intimement lié aux tranchants des mains. Ainsi le hasuji (sens du tranchant durant la coupe) sera systématiquement respecté.

Et quoi qu'il en soit toujours tenir son Sabre comme si l'on tenait un oiseau dans sa main : suffisamment serré pour ne pas qu'il ne s'envole et suffisamment relâché pour ne pas l'étouffer.

Et lire aussi : http://jibun-no-hana.over-blog.com/2015/04/peux-t-on-couper-avec-son-sabre-de-bambou.html

Conclusion

Voilà, un apprentissage de tous les instants. En Kendô rien n'est acquis et surtout pas une technique ou une sensation. Il faut sans cesse tenter de la perfectionner.

Cessons donc de prendre du retard et commençons dès à présent par bien tenir son Sabre qu'il soit fait de bambou, de bois ou bien d'acier.

...et prenez au sérieux la menace de OGAWA senseï qui a écrit :

"Si vous considérer ou traitez votre shinaï comme s'il n'était qu'un vulgaire bout de bois ou un bâton, votre Kendô s'apparentera à ce qu'on appelle (en 1932) 'Waza kenjutsu' et toute la signification du Kendô lui même disparaîtra."

 

NDLR

Les pratiquants observés ayant servi à écrire cet article sont 4e dan et plus, par conséquent ayant plus de 10 ans de pratique.

Et bien entendu, il peut y avoir des degrés dans la présence de ces contre-principes chez tel ou tel pratiquant. J'en ai fait ici une description un peu caricaturale afin de mieux pouvoir les expliquer.

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